Le son et l’aviron
Quelques réflexions sans prétention d’une quelconque valeur scientifique...
Tous les rameurs le ressentent : la régularité du geste procure du plaisir. Et si ce plaisir avait quelque chose à voir avec le son ? Celui de la rame dans l’eau, celui de la dame de nage qui vient border chaque inspiration puis chaque expiration ? Ramer une vingtaine de coups par minute (0.3 Hz) est une expérience de l’ordre de la médiation, qui apporte relaxation, sentiment de “cohérence” et de plénitude. Plus encore, en bateau long, lorsque tous les sons s’alignent pour n’en former qu’un plus complexe, le rythme renforce le sentiment d’unité sur le bateau, le sentiment d’être “ensemble”.
On ne va pas tenter ici d’élaborer une thèse de psychoacoustique, mais on peut lancer quelques pistes…
L’apprentissage de l’aviron ne se fait pas à la même vitesse chez tous. On remarque quand même qu’il est sensiblement plus rapide chez :
- Les danseurs
- Les musiciens
- Les pratiquants d’un autre sport où la synchronisation des gestes importe.
Alors, peut-on imaginer un lien entre la pratique sportive et la “musique” des avirons ? Le son que l’on produit en ramant, avec ses différentes modulations, peut-il avoir un effet sur la progression ?
Petite parenthèse : savez-vous que les personnes souffrant de la maladie de Parkinson, qui ont donc du mal à se déplacer, parviennent beaucoup mieux à marcher ou même danser lorsqu’ils suivent une pulsation sonore ?
Autre parenthèse : l’apprentissage de la musique à l’école a démontré que le travail rythmique sur une longue période améliorait les capacités liées au langage et tendait à favoriser la cohésion sociale.
Enfonçons une porte ouverte : quand on entend de la musique, on a envie de bouger. Même si on ne se met pas à danser, on marque la mesure du bout du pied. Le rythme et le mouvement sont liés (voir la vidéo de Scilabus à ce sujet sur YouTube). C’est à la base d’une pratique utilisée pour refaire marcher des personnes âgées : en leur faisant écouter une musique rythmée pendant l’exercice, elles allongent spontanément le pas.
Chez les apprentis musiciens, on observe un couplage dit auditivo-moteur en quelques mois de pratique, c’est à dire que la perception des sons active les aires auditives du cerveau (cortex temporal et cortex frontal) mais aussi le cortex moteur. Voir : https://www.euromov.eu/beathealth/sites/default/files/publication_docs/pdf_0.pdf
Le bruit de l’eau
Dans le bruit de l’aviron, on peut considérer deux aspects : la nature du son, et sa reproduction rythmée.
Il y a le bruit de l’eau repoussé par la palette, le glougloutement de la coque, et le bruit mécanique des sellettes sur les rails ainsi que celui de la rotation des pelles dans les dames de nage.
La nature de ces sons a-t-elle un impact sur le plaisir ? A priori on aurait tendance à éliminer la portée des bruits mécaniques qui ne semblent pas avoir une grande valeur esthétique (au contraire de leur rythme qui lui a certainement un impact considérable). En revanche on ne semble pas pouvoir éliminer la résonance émotionnelle du bruit de l’eau : essayons de le remplacer mentalement par un grincement de poulie… c’est moins glamour hein ?
Le bruit de l’eau est un bruit de nature, comme ceux de la forêt, et est largement utilisé lors de pratiques de méditation auditives. Il n’est pas absurde de penser que cela puisse avoir un effet.
En revanche, en ce qui concerne la répétition régulière de la séquence sonore, l’impact est à peu près évident.
Le rythme et la santé
Il ne vous aura pas échappé que le rythme de la respiration chez l’adulte est de … 12 à 20 cycles par minute (c’est plus rapide chez l’enfant). Le rythme de l’aviron est donc parfaitement aligné lorsqu’on pratique un entraînement standard (le fameux B1). Chaque inspiration vient naturellement se placer entre le moment du renvoi des mains et celui de l’entrée de la palette dans l’eau, lorsque les épaules viennent s’ouvrir. Ce contrôle rythmique de la respiration rappelle franchement la pratique des exercices de cohérence cardiaque (même si dans ce cas la fréquence est plus basse à 6 cycles par minute).
La tenue de ce rythme de respiration et de mouvement arrive à procurer un réel sentiment de plaisir, de plénitude. On arrive à un sentiment d’auto-contrôle, de lâcher prise, qui est très voisin de celui ressenti par le randonneur.
Il a été observé que l’écoute d’un rythme, par l’émotion provoquée, favorisait la libération de dopamine. Dans le même temps vient s’additionner un effort physique qui lui aussi libère de la dopamine (voir wikipedia).
Petite digression : en musique en général, dans le jazz en particulier, il est très fréquent qu’on s’écarte du métronome, ce qui créé une tension chez l’auditeur, puis on résout cette tension en revenant très précisément sur le temps qu’en fait, on avait gardé en soi. La note ne pouvait tomber que là, ni avant ni après, la perfection était en jeu. On peut facilement imaginer (avec modestie) qu’il en est de même en aviron : la pelle doit tomber exactement à ce moment-là, sinon ce n’est pas beau ! Et la beauté c’est du plaisir et le plaisir c’est la santé (si, si).
Le rythme et la cohésion
Huit sellettes remontent en même temps, huit pelles (ou seize) tournent ensemble en faisant entendre un claquement resserré, puis tombent presque sans bruit avant de pousser seize vagues sonores (ou huit) qui enflent jusqu’à la conclusion nette d’une sortie d’eau conquérante. C’est un beau bateau, cela s’entend de loin. Cette appréciation sonore, c’est la reconnaissance d’une cohésion dans l’équipage. La cohésion, cela s’écoute. Les rameurs l’entendent bien, et quand cela fonctionne, la cohésion s’en trouve renforcée en un cercle vertueux, chacun se sentant responsable de ne pas briser l’équilibre.
Savez-vous que les foules chantent juste ? Une foule est essentiellement composée de gens qui chantent faux : certains sont trop haut, d’autres trop bas, et en moyenne… on retombe au milieu, là où c’est juste. Là où ça devient intéressant, c’est que le fait d’entendre juste autour de soi améliore chacun, et que l’exemple resserre les écarts, jusqu’à tendre vers une sorte d’idéal.
Ce qui est vrai pour la justesse est également vrai pour le rythme, même si la démonstration est moins aisée. Un beau bateau bien rythmé amène chacun des rameurs à accroitre la précision de son geste. Le rythme accroît la cohésion du bateau.
Une observation est facile à faire : dès le départ du ponton, une vingtaine de coups bras seuls, bien nets, rassemblent tout de suite l’équipage et annoncent une bonne sortie.
Le rythme et l’entraînement
Spontanément, beaucoup de sportifs ont adopté les écouteurs pendant leurs entraînements. Passons sur l’isolement social que cela engendre, c’est un autre débat. Cela doit bien avoir un effet bénéfique pour que cela soit si répandu ?
Et oui, l’écoute musicale, et plus particulièrement le rythme, modifie la perception de l’effort et donc permet de pousser plus loin l’entraînement en le rendant plus facile. Cela minore l’état de fatigue, et pas seulement la perception qu’on en a : on est réellement moins fatigué. Le bruit de la rame, en tant qu’événement rythmique, joue le rôle d’une magnifique musique concrète idéalement adaptée à la pratique de l’aviron. La répétition créé une sorte d’enveloppe sensorielle qu’on apprend à associer à l’effort et au dépassement de soi. On a là un mécanisme très efficace du renforcement de la motivation.
On pourrait avancer que l’alignement sur l’instant présent favorise la concentration, un peu comme lors d’une pratique méditative, ce qui permet de rester concentré sur le bateau. N’avez -vous pas expérimenté après une sortie sur l’eau que vous n’aviez rien vu de paysage ? Vous êtes sur une rivière magnifique, il fait beau, et vous étiez tellement “dans le bateau” que vous n’avez rien vu ! Si ce n’est pas de la concentration ça !…